Pourquoi ne construit-on plus aussi beau qu’autrefois
Depuis très longtemps, je réfléchis sur la ville, sur la construction de communautés humaines d’un point de vue pratique. Très jeune, je m’étais posé la question de la taille minimale que pouvait avoir une communauté afin de vivre en autarcie et j’avais envisagé la notion d’ile pour évaluer les solutions. C’est imparfait, pratiquement aucun groupe humain ne vit sans contact avec l’extérieur ; mais pour une vie équilibrée, combien fallait-il de boulangers, bouchers, artisans, agriculteurs, etc. Et en quelques quantités minimales pour que tout fonctionne correctement, des notions qui évoluent avec la complexification de la vie moderne.
Observant les villes, j’ai rapidement constaté que le ressenti d’une ville était fonction du lieu d’où on l’abordait en tant que piéton. Jeune, j’ai découvert Lille par deux parcours différents à quelques mois d’écart et ma vision en était totalement différente ; cela s’est confirmé par la suite pour de nombreux autres lieux. De là se révèle la difficulté à appréhender la ville, c’est subjectif et fortement lié aux approches, mais aussi aux expériences antérieures. La vision d’une ville me semble intimement liée au regard du piéton, les autres modes de déplacements nous imposent de nous centrer sur le parcours à accomplir plus que sur l’environnement. La « ballade, » c’est réellement le mode que déplacement qui permet d’apprécier l’architecture, l’urbanisme et de comprendre comment et pourquoi les différents éléments fonctionnent entre eux.

Je ne suis ni architecte ni urbaniste (cet objet administratif non identifié), mais simplement photographe avec une approche scientifique de l’image ; durant trente-cinq années, j’ai exploré des yeux (photographie ophtalmologique), de l’intérieur, de l’extérieur et avec tous les moyens disponibles. Ma seule arme pour étudier la ville n’est donc pas un diplôme, mais un sens de l’observation affuté. J’ai même quelques préventions vis-à-vis de l’enseignement, c’est certes un moyen rapide d’acquérir des connaissances, mais cet apprentissage prédigéré ne porte pas à la critique et à l’esprit de doute qui doit habiter tout chercheur et même toute personne cultivée ; la chose enseignée est sacralisée et l’enseignement produit des « croyants » plus que des êtres éclairés.
Après ce préambule, j’avoue écrire cet article pour répondre à David Orbach qui a pris conscience de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons et qui fait partager ses réflexions dans de remarquables cours à l’Université populaire de Caen. J’ai écrit sur Twitter qu’il n’avait pas identifié tous les travers architecturaux de notre époque, bien que sa vision se soit bigrement structurée entre deux sessions, il m’a demandé quels étaient ces éléments. Qu’est-ce qui me permet de faire ce genre d’observation, sachant que je ne suis pas officiellement habilité à juger de l’architecture et de l’urbanisme ? Pour faire court, cela est lié à mon arrivée près de Rennes, il y a deux ans et demi. Je ne connaissais cette ville que superficiellement, pour ainsi dire en touriste. Tout a changé dès que j’ai souhaité y habiter ; pas par choix, prosaïquement pour suivre ma compagne qui avait voulu revenir en Bretagne et, comme cela est quasiment inéluctable pour les administrations, la Bretagne, c’est essentiellement Rennes !

À l’époque, Rennes claironnait fièrement sa réussite urbanistique et architecturale, présentant la ville-archipel comme une réussite et se vantant d’être une ville sans banlieue, comme s’il existait des iles sans rivages. Pourtant, parcourant la ville hors du centre historique, on rencontre de nombreux secteurs froids, glauques et on ressent un ennui accablant. Rennes est la capitale triste et terrienne (la mer se situe au minimum à 80 km), d’une Bretagne vivante et maritime, mais avec une fièvre bâtisseuse. Bien sûr, toutes villes possèdent ses secteurs austères, lugubres, mais toutes ne s’annoncent pas comme des modèles de réussite. Ici, ce qui ressort, même ce qui vous éclate à la figure, c’est l’intense activité immobilière depuis cinquante ans, croissance oblige. Des programmes aux mains d’une petite poignée de promoteurs, qu’ils soient sociaux ou privés, et le recourt quasi-systématique à l’immeuble comme solution d’urbanisme, un pur bonheur pour étudier l’architecture actuelle.

À Rennes, s’il y a une permanence des expérimentations urbanistiques, indépendantes de la couleur politique des élus, puisqu’il y a eu changement de majorité et que les mêmes voies ont été poursuivies. Ces élus semblent souvent de bonne foi, mais ils appliquent les mêmes recettes depuis une bonne cinquantaine d’années et en sont très satisfaits. En fait, Rennes est un exemple de l’urbanisme administré au-delà du raisonnable, le moindre élément de la ville devant resté sous contrôle, pas question de laisser d’initiatives aux habitants. Ce qui est remarquable, c’est la diversité des choix urbanistiques et architecturaux, tout a été essayé, un remarquable poste d’observation des solutions actuelles que j’ai exploitées, explorées méthodiquement. Je passerai sur de nombreux éléments urbanistiques pour me concentrer dans ce court article sur l’aspect architectural.

1 – Pourquoi ne construit-on plus aussi beau qu’autrefois ;
2 – Stérilisation des rez-de-chaussée ;
3 – La Morinais, Saint-Jacques-de-la-Lande ;