Depuis 1580, l’une des principales villes du Périgord à l’époque, Montignac était privée de son pont, un lien vital entre deux rives, deux paroisses très peuplées. Des expédients ont été construits à la hâte, du rafistolage en bois, bien trop légers pour résister aux colères récurrentes de la Vézère. Il faudra attendre presque 200 ans pour qu’un solide nouveau pont soit édifié, trop tard, la ville est désormais hors des grandes routes commerciales.
Entre-temps, la voirie a été modifiée, le lit de la Vézère a été grignoté sur les deux rives, réduisant le lit majeur à une portion congrue. Des bâtiments qui semblent aujourd’hui datés des temps lointains ont été construits sur les surfaces gagnées sur la rivière sur la rive gauche, entre 20 et 25 mètres, déjà existant lors de la construction du pont, et la rive droite a perdu quelques 6 mètres avec le quai Mérilhou et l’imposant mur qui le soutient.
Au XVIIIe siècle, des ingénieurs des Ponts et chaussées ont eu pour mission de recréer le lien entre Périgueux et Sarlat qui passait par Montignac. Connaissant la propension de la Vézère à sortir méchamment de son lit, ces ingénieurs ont conçu une voie hors d’eau, surélevée d’environ 3 mètres par rapport au niveau du sol normal. Cette voie se nomme aujourd’hui la rue du Quatre septembre (date de la proclamation de la Troisième République), elle est bordée d’immeubles qui ont participé à l’élévation globale, tous possèdent des caves ; il ne restait qu’à combler l’espace entre ceux-ci pour terminer cette voie. Seulement ensuite a été édifié le pont.
Ce pont est particulièrement étroit à ce niveau de la rivière ; son équivalent à Terrasson édifié un demi-siècle plus tard, mais comporte cinq arches contre trois et demi à Montignac. À Brive, le pont Cardinal construit trente ans plus tôt et qui enjambe la Corrèze, soit environ 30 % du débit qui s’écoule à Montignac, comporte trois arches.
À Terrasson, l’eau est rapidement évacuée par Le Brasset, le canal de dérivation creusé pour la construction du Vieux pont, réellement très ancien, lui, il daterait du douzième siècle. Dès que les eaux montent, une partie de leur écoulement envahit l’ancienne route nationale N89.
Autant dire que ce « Vieux » pont a été bâti à l’économie. Mais le plus grave, c’est son association avec une voie hors d’eau, c’est-à-dire une digue ! Le résultat, c’est que lorsque le débit augmente, l’eau atteint rapidement le haut des arches, amplifiant les effets des crues majeures.
Nos ingénieurs ont constitué une nasse d’où l’eau ne pouvait sortir, le seul exutoire étant les ouvertures réduites du pont. Quand le débit arrive à la limite de ces ouvertures, il ne reste à la rivière que de passer au-dessus du pont et de la rue du Quatre septembre. Sans le vouloir, sans le savoir, ils ont constitué un barrage filtrant, dit aussi à pertuis ouvert comme celui que leurs collègues, les ingénieurs Mathieu et Poictevin, ont conceptualisé et créé en 1712 à Pinay sur la Loire. Avaient-ils eu connaissance de cette réalisation presque contemporaine ? J’en ai fait un article ici.
Il arrive que des aménagements destinés à se protéger contre les crues intempestives se retournent contre leurs concepteurs, c’est ce qui est arrivé dans la basse vallée de la Vézère, à Montignac.
Y a-t-il des solutions ?
Oui, mais disons qu’elle ne plaira certainement pas aux habitants de cette cité, je vous laisse les imaginer…
Source de certaines images, les autres sont de l’auteur.
1 – Carte issue du travail de Xavier Pagazani et collaborateurs, du Patrimoine et inventaire en Nouvelle-Aquitaine – Les dessous d’une carte : la ville de Montignac au milieu du XVIIIe siècle.
2 –Photo issue du livre de Jean-Michel Faure : « Inondation de la Vézère il y a cinquante ans (octobre 1960) »