Appelée aussi retenue sèche
Est-ce qu’un barrage avec une « fuite » peut arrêter les inondations ? Les arrêter, non, mais réduire leurs conséquences négatives, oui. On ne peut pas empêcher les inondations, elles sont à la fois imprévisibles, d’ampleur très variable et inévitable. Par contre, on peut agir pour réduire leurs effets les plus destructeurs.
Le principe, on construit un barrage ou une digue en travers d’un cours d’eau, et l’on perce cet ouvrage d’une ouverture suffisamment grande pour qu’elle n’oppose pas de frein à l’écoulement de l’eau tant que le débit reste dans des limites acceptables. Ce système ne devient fonctionnel que lorsque ce débit peut devenir dangereux pour ceux qui se trouvent en aval. Mais avec une limite, pour des volumes d’eau exceptionnels, un déversoir au-dessus du barrage laissera passer plus de liquide, c’est inévitable, cela produira des inondations plus bas, en réduisant les dégâts par rapport au même phénomène s’il n’y avait pas eu de barrage, mais en allongeant la durée de la crue.
* La protection par des digues sera traitée en fin d’article.
Le premier barrage de type filtrant était français, mais ne cherchait pas ses références, il est pratiquement introuvable et a été détruit il y a quelques dizaines d’années ! C’est la Digue de Pinay sur la Loire, édifiée en 1712 par ingénieurs Mathieu et Poictevin à la suite d’une commande royale de 1711, sous Louis XIV. Cette digue est évoquée brièvement dans « L’histoire des barrages », une publication du Comité français des barrages et réservoirs de 2013, il est cité par un professeur japonais, Tetsuya Sumi, et par une équipe française.
L’origine de cette innovation trouve son origine dans la navigation, on a supprimé des rochers formant un rétrécissement naturel, en 1702. Mauvaise idée, le courant devint encore plus violent lors des crues, celles-ci devinrent plus destructrices. D’où l’idée de construire la digue à pertuis, dite du PINAY, sur la Loire en 1711. Elle a protégé la ville de Roanne lors des crues de 1846 et 1856, mais son efficacité ait été réduite après les dommages de la crue de 1790. Elle a ensuite été restaurée et rehaussée au début du XIXe siècle. Un autre système identique l’accompagnait, et un second était programmé, l’ensemble protégeait les villes de Roanne jusqu’à Orléans, voire au-delà. La capacité de l’ouvrage était de 100 millions de mètres cubes durant 16 h 30. Aujourd’hui, cette installation a été détruite et noyée par la présence du barrage de Villerest (1978-1984).
En consultant les documents anciens, on constate que les problèmes liés aux crues et aux protections contre elles étaient déjà parfaitement connus, souvent même mieux appréhendé qu’aujourd’hui, surtout avec toutes nos préventions liées à une défense de la nature qui interdit de protéger les humains.
Pourtant, l’ONU est claire sur le sujet, ce type de barrage fait partie de la trousse à outils à laquelle il faut recourir : « L’amélioration du contrôle des inondations constitue un avantage important en matière d’adaptation au changement climatique dans les zones souffrant d’une forte variabilité saisonnière des précipitations. Les barrages ont généralement un niveau d’impacts environnementaux et socio-économiques négatifs inférieur à celui des barrages conventionnels. Les barrages peuvent être convertis en barrages-réservoirs à un coût relativement faible en cas de changements majeurs dans l’approvisionnement en eau. »
Une équipe française a particulièrement acquis de connaissances sur tous les aspects de ces ouvrages, une partie de ses publications sont listées en fin d’article. Lors de l’étude : Enseignements de retours d’expériences de barrages à pertuis ouverts, de 1905 à nos jours, il est conclue qu’un projet de petits ouvrages ne demande pas moins de rigueur que pour de grands ouvrages, que ce soit dans la conception des structures, le dimensionnement des organes hydrauliques, les impacts environnementaux et bien sûr l’évaluation économique. Il convient donc, pour cette démarche pluridisciplinaire, de faire appel à une ingénierie qualifiée. Disposer de compétences pour des travaux publics est notoirement insuffisant pour aborder la problématique de la protection contre les crues.
On peut toujours objecter qu’il est inutile de lutter contre les crues, que nous sommes responsables du réchauffement climatique et qu’il faille subir les conséquences de nos mauvaises actions, bref, un discours à forte connotation religieuse. Si ce n’est que des crues, il y en a toujours eu, mais si l’on a conservé leur souvenir dans certains bassins, ce n’est pas une généralité, on préfère même parfois ignorer ces anciennes histoires qui fâchent. Faut-il toujours attendre de subir des inondations exceptionnelles pour réagir ? De tels phénomènes sont à l’origine des systèmes contre les crues au début du 20e siècle en Silésie ou dans le bassin de la Miami River aux USA, analysés ici.
Où étudier de telles solutions ? Partout, dans tous les lieux qui souffre plus ou moins régulièrement de telles catastrophes. Les zones soumises aux phénomènes cévenols sont en partie équipées, la vallée de l’Aa autour de Saint-Omer, etc., sans oublier le bassin de la Vézère, le secteur le plus sensible aux inondations du bassin de la Dordogne. Mais contrairement aux conclusions de deux géographes, spécialistes de la géographie humaine, les barrages sur la Haute Vézère ont fortement limité la crue de 1960, par contre la Corrèze qui ne possède pas de barrage conséquent, a souffert et est à l’origine des fortes inondations au-delà de Brive. Jean Perrel suggérait déjà en 1961 d’établir des barrages régulateurs, dont la rentabilité hydro-électrique resterait faible.
Observation qui n’est pas anecdotique, sur la Vézère à Montignac, la crue de 1960 a atteint une hauteur de neuf mètres. À bien y regarder, les aménagements humains: le pont, le rétrécissement du lit de la rivière et la rue du Quatre septembre construite au 18e siècle dans cette commune, ont involontairement constitué un barrage filtrant qui a pour effet d’amplifier les crues ; j’y reviendrais dans un prochain article.
Les digues
Elles sont les premières des solutions envisagées, mais elle présente deux gros défauts. Elles sont efficaces tant que la hauteur du cours d’eau (ou de la mer) reste inférieure à celle de l’ouvrage ; mais une fois que celui-ci déverse, et plus encore en cas de rupture, cela aggrave les dégâts, apparait alors leur second défaut, la digue qui était sensée protégée, limite l’évacuation des eaux. Une solution à manipuler avec de grandes précautions.
Bibliographie
Designing and operating of flood retention ‘dry’ dams in Japan and USA, Tetsuya Sumi (2008), Université de Kyoto, professeur agrégé, Département de génie civil et des ressources terrestres, Université de Kyoto Katsura 4.
Importance de la digue de Pinay, Par TESTENOIRE dans Sur le fleuve Loire le 7 août 2011.
Flow-through dam for flood control, UN environnement programme, 2016 ou après.
Enseignements de retours d’expériences de barrages à pertuis ouverts, de 1905 à nos jours, Christine Poulard, Paul Royet, Jerzy Ratomski et Anna Lenar-Matyras, Sciences Eaux & Territoires, janvier 2008.
Revue bibliographique. Panorama de la recherche sur la prévention des inondations, Ressource | Synthèse, rapport | Christine Poulard (Irstea) le 19 avril 2008.
Sûreté et efficacité des barrages écrêteurs de crue. L. Deroo, P. Royet et C. Poulard ; Colloque CFBR « Sûreté des barrages et enjeux », novembre 2016, Chambéry, France. pp.203-221, ⟨10.24346/fbr_colloque2016_c01⟩ ; ⟨hal-01467467⟩.
Le ralentissement dynamique pour la prévention des inondations : guide des aménagements associant l’épandage des crues dans le lit majeur et leur écrêtement dans de petits ouvrages. J. Dunglas, B. Chastan, M. Lang, Christine Poulard et P. Royet ; irstea. 2004, pp.131. ⟨hal-02583763⟩
Recommandations pour le dimensionnement des évacuateurs de crues de barrages. P. Le Delliou, S. Aigouy, C. Albert, G. Degoutte, Luc Deroo, et al.. CFBR, pp.166, 2013. ⟨hal-02598626⟩
Les crues de la Corrèze et les inondations dans la région de Tulle, Jean Perrel, 1961, page 314.