Soulignons d’entrée le caractère unique de cette Route des crues, à ne pas confondre avec la Route des Grands Crus de Bourgogne, ni avec celle de Vin d’Alsace, de Champagne, de Bordeaux ou de Provence, il y en aurait rien que huit en France pour les boissons alcoolisées. Il y a des routes des noix, des mimosas, des moulins, des lieux géographiques remarquables, et surtout des routes historiques. Rien de cela ici, car il s’agit d’une route des inondations, et celle-ci est propre aux rives de la Vézère.
Les trois auteurs de cette route sont d’ailleurs clairs à ce sujet :
« Route des fromages, route de la noix, route des vins… Les itinéraires touristiques visant à mettre en valeur les terroirs français sont légion. Ils comportent plusieurs étapes visant à faire découvrir au public des spécificités régionales, liées à des systèmes de production, des paysages, des patrimoines, etc. Bref, des héritages culturels très vivants de nos jours. »
« Or les inondations font également partie de l’histoire et la vie de certains territoires. Souvent considérées uniquement sous l’angle du risque, elles sont aussi des héritages qui participent de l’identité de communes très marquées par les crues. Certains exemples emblématiques en France rappellent ces “cultures de la crue”, très forte par exemple sur l’île de Béhuard (Loire-Atlantique), sur l’île de la Barthelasse (Vaucluse) ou dans le quartier du faubourg à Béziers (Hérault). »
Ce travail a été mené par Jamie Linton, Alexis Metzger et Aude Vallat, durant 18 mois au sein du Laboratoire de Géographie Physique et Environnementale, le GEOLAB de l’université de Limoges, avec le concours de l’EBPT Dordogne, soit Epidor, les mairies concernées et quelques habitants. Il s’est traduit par des panneaux relatant la crue de 1960, en anglais ou en français, qui ont été installés dans sept communes des rives de la Vézère : Uzerche, Le Saillant de Voutezac, Saint-Viance et Saint-Pantaléon-de-Larche pour la Corrèze, et Montignac-Lascaux, Saint-Léon-sur-Vézère et Les Eyzies en Dordogne. Le but annoncé était de « faire découvrir l’histoire des crues de la Vézère tant aux résidents permanents qu’aux non-résidents, pour participer de la culture du risque », l’ensemble a été inauguré le 17 mai 2017.
Un élément surprend dans cette route des crues, son parcours suit exclusivement le cours de la rivière Vézère, de prime à bord, cela semble logique. Là où cela ne l’est pas, c’est que les eaux qui ont submergé la Basse Vézère provenaient majoritairement de la Corrèze. D’ailleurs, Tulle et Brive ont été sévèrement inondées. Cela est confirmé par les études très sérieuses qui ont été menées à la suite de ces évènements, tels que le confirme Jean Perrel en 1961 :
« Les inondations d’octobre 1960 ont attiré l’attention générale sur les rivières limousines ; or, il se trouve que l’une de celles qui ont causé le plus de dégâts n’est pratiquement pas connue, la Corrèze ayant fait figure de parent pauvre à côté de ses voisines, Vézère et Dordogne. »
Nos géographes de 2017 ont commis la même erreur, des spécialistes de la géographie humaine, alors que l’étude des crues est l’objet d’étude des hydrologues. Notre trio de chercheurs était assisté par Epidor, l’Établissement Public Territorial de Bassin de la Dordogne, dont l’un des objectifs était d’alerter sur la dangerosité de ces barrages constituant une fausse protection. On retrouve cet élément dans deux publications d’Alexis Metzger et Jamie Linton en 2016 « Les barrages qui cachent l’eau : l’oubli des vulnérabilités aux inondations lors de l’aménagement de la Dordogne (1917-1935). » et « Des inondations barrées ? La représentation des vulnérabilités en aval des barrages réservoirs ».
Tous les grands barrages hydroélectriques du bassin de la Vézère se situent sur cette rivière, en amont de celui qui est indiqué en rouge ci-dessus. Un barrage existe à Corrèze, sur la Corrèze, mais sa taille ne lui permet pas d’influer sur les crues. Toutes les rivières présentes ont la capacité de collecter les eaux de pluie en fonction de la surface de leur bassin versant, ce que j’ai résumé dans une cartographie grossière ci-dessous.
La surface des quatre bassins versants représente une surface de 2 425 km² ; sur cet ensemble la Vézère ne participe que pour 40 % à ce total, bien qu’elle soit la seule équipée de plusieurs barrages. Nier l’effet « réducteur » des barrages sans prendre en compte les autres bassins versants qui ont également participé aux crues de 1960 est un oubli regrettable. Les débits comparés de la Corrèze, m³/s à Brive et au Saillant sur la Vézère, 432 m³/s (Jean Perrel) suggère que les barrages ont minimisé la crue de la Vézère, qui a quand même cumulé jusqu’à 1220 m³/s à Montignac. Les barrages sont probablement la principale des solutions pour limiter les effets délétères des crues, mais il ne feront jamais disparaître les inondations.
Le GEOLAB cite H. Pfahl en 1962 : « Cette diminution des crues moyennes a créé chez les riverains un sentiment de sécurité, mais qui est une fausse sécurité ? »
Les barrages restent probablement la principale des solutions pour limiter les effets délétères des crues, mais ils ne les feront jamais disparaître. EDF évite sagement d’attribuer à ses barrages une fonction protectrice, c’est logique puisque l’on ne peut pas supprimer une crue, seulement réduire et étaler ses conséquences. N’oubliant pas les barrages à Pertuis ouvert que nous avons étudié par ailleurs. Le problème, c’est qu’il faut choisir entre les pêcheurs de salmonidés et la sécurité humaine, entre la protection des populations et une rivière sauvage ; ce dernier aspect tenant en grade parti du religieux, pour ne pas dire du New Age.
Si l’on oublie les barrages, il reste la prévention de ces catastrophes qui est un sujet ardu, elles sont imprévisibles, dépendent des pluies, parfois des fontes de neige, leurs ampleurs, leur temporalité et leurs localisations sont très variables. Cette démarche-ci est intéressante, mais très provisoire, ces panneaux seront emportés par la première crue un peu sérieuse.
La prévention des catastrophes naturelles est un problème qui ne se limite pas aux crues, éboulement de falaise, tremblement de terre, volcanisme, tsunamis, etc., autant de drames inévitables, mais dont on ne peut déterminer le moment où ils surviendront. La solution est peut-être dans l’éducation, un message à répéter aussi longtemps qu’il le faut dans toutes les zones à risques ; la surveillance et l’alerte devraient faire également partie des politiques pour se prémunir des effets les plus désastreux.
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