On a découvert une Licorne ! C’est Henri Breuil, historien remarquable, dit l’abbé Breuil, qui l’a baptisé ainsi, peu après la découverte de la grotte de Lascaux, à Montignac en Périgord, près de Sarlat, fin septembre 1940. Il avait un faible pour les dénominations pompeuses, dans un même élan, il a qualifié ce trou abritant de nombreuses peintures ancestrales de chapelle Sixtine de la préhistoire, rendons-lui grâce, les spécialistes du monde entier ont adopté cette appellation.
Devant cette image surprenante, bien que cette Licorne possède deux cornes contre une pour la version mythique, les esprits se sont échauffés, ils ne sont d’ailleurs toujours pas refroidis. Des théories les plus farfelues ou surnaturelles ont été avancées, certains y voient les prémices de l’art contemporain avec une composition issue de divers éléments animaux… Non, il n’y avait pas de marché ni de millionnaires, pas encore d’écriture pour remplir un cartouche avec quatre mille caractères, donc éliminons d’office cette voie.
Le chamanisme de Jean Clottes, probablement aidé par des substances hallucinogènes, serait acceptable si les animaux rupestres de ces temps lointains n’étaient pas d’une précision anatomique remarquable, et ce pendant plus de vingt siècles, que l’on peut réellement douter qu’ils aient été dessinés par des allumés. De même quand Denis Tauxe affirme que l’imaginaire participe du discours symbolique élaboré par les artistes pour justifier ces théories, on a beaucoup de difficulté à distinguer une représentation humaine dans le corps de cette Licorne.
Pourquoi est-elle peinte à l’entrée de la grotte ? C’est une longue histoire que je vous conte ci-dessous.
Il restait un bel espace, là à gauche, à l’entrée du lieu sacré, bien que l’on eût préféré les profondeurs, car elles sont plus secrètes. Il y avait largement de quoi ajouter une belle création contemporaine.
Papy n’était pas chaud pour grimper à nouveau sur la corniche étroite, malgré l’échafaudage qu’on lui avait installé.
On va t’aider, on préparera tes pigments, tes lampes, on t’aidera à monter, on te soutiendra.
À contrecœur, parce que nous avons beaucoup insisté, papy a finalement accepté de réaliser un dernier auroch, « mais après, c’est terminé, je ne dessinerais plus que sur le sol. »
Une fois que tout était installé, il a sorti son aïefaune (Iphone pour les puriste) d’une poche pour consulter les images qu’il avait capturées. (Non, l’artiste préhistorique n’avait pas d’aïefaune, il devait avoir gravé dans son cerveau l’image de l’animal qu’il avait observé bien longtemps avant, ce qui nécessitait un réel effort, une capacité intellectuelle que peu possédaient.)
Il a commencé à dessiner le corps de l’animal, c’est toujours comme cela qu’il procédait. Son souffle était court, il prenait son temps, il suivait les marques discrètes qu’il avait inscrites sur le support, un as, ce papy. Il crachait ses couleurs avec précisions, ses lignes étaient continues et régulières, il a même fait sa réserve habituelle sur la patte arrière, mais il fatiguait.
« C’est la grève à la Ces Hache Hutte, si je me casse la figure, je vais rester handicapé jusqu’à la fin de mes jours ! Je n’en puis plus, mon dessin devient n’importe quoi, j’arrête ! »
Il est vrai que la tête de l’animal, c’est du n’importe quoi. Le mufle est bien identifiable, par contre le tracé est grossier, les proportions ne sont pas respectées, et surtout , il manque les cornes.
« Papa, tu ne pourrais pas terminer la peinture de Papy ? »
« Euh, je ne sais pas faire, et puis les cornes, c’est compliqué, je ne suis pas doué pour ça. »
Bref, Papa a quand même essayé… Que dire, je n’ose pas donner le fond de ma pensée.
Retour à notre époque
Cette présentation qui se veut humoristique, présente une hypothèse que j’avais déjà produite il y a quelques années, et dont le texte est reproduit dans d’article, celle d’un dessin interrompu par une défaillance physique ou intellectuelle de l’artiste. Ces œuvres ne sont pas des productions standards, elles sont marquées par le style, la patte de celui (ou celle ?) qui l’a dessiné. De par ses caractéristiques, je le rapprocherais des aurochs, mais certainement pas des vaches rouges ou des cerfs, par exemple.
Élément essentiel à prendre en compte lorsque l’on observe ces images, la Licorne, comme les aurochs, les vaches rouges, les chevaux et toutes les autres représentations, sont très probablement le résultat de superpositions réalisées à des époques différentes. Comme l’on ne sait pas (encore) les dater avec précision, il faut adopter une certaine réserve, et ne pas prendre l’ensemble comme un tout participant au dessin original. Que ce soit pour les dessins à l’intérieur du corps comme pour de petits traits identifiés par certains. Sans compter que des éléments ont pu être effacés pour en rajouter de nouveaux, une sorte de palimpseste.
Annette Laming Emperaire, le « style paraît moins habile » parce que « l’artiste qui excelle à représenter les animaux qu’il a réellement pu observer, n’a plus la même maîtrise pour exécuter cet animal imaginaire ou mythique » (Laming Emperaire, 1964, p. 51. Encore fallait-il que l’artiste ait voulu représenter un animal imaginaire, nous reportons sur les humains des temps lointains des préoccupations qui nous sont propres).
Brigitte et Gilles Delluc observent l’abdomen météorisé (…) fait partie du style des animaux de Lascaux, et se retrouve sur bien d’autres figures (bovins, équidés surtout), que le membre postérieur gauche est détaché du corps par le procédé de la réserve claire, technique employée chez l’auroch, le bison et le cheval.
Par contre, « les deux appendices frontaux et le corps du quadrupède n’ont pas été traités de la même manière, les premiers ayant été faits au pinceau, alors que le corps le fut par pulvérisation. Cette véritable rupture technologique pourrait inciter à dissocier ces deux sujets. Pourtant, un traitement d’image réalisé à hauteur de l’extrémité proximale du trait rectiligne supérieur a permis de mettre en évidence l’étroite association entre ces éléments » (Aujoulat, 2004, p.68).
Ces témoignages sont issus de « La “Licorne” de Lascaux : réflexion sur la frontière séparant le réel et le surnaturel » Par Denis Tauxe, Marylène Patou-Mathis, texte soumis le 2 décembre 2020, téléchargeable en PDF ici.
Est-ce qu’un catalogue de toutes les créatures peintes dans les grottes de cette longue époque (-/+ 20 000 ans) existe ? Je n’en ai pas connaissance. Un tel inventaire devrait permettre de classer les styles, voire d’identifier les auteurs. Il est à espérer qu’à l’avenir on puisse dater avec précision ces œuvres, car de Chauvet à Altamira, il s’agit de réelles créations artistiques dont on ignorera sans doute toujours la motivation qui a conduite à leur réalisation.
Toutes ces reproductions sont issues de l’Atelier des Fac-Similés du Périgord, l’AFSP à Montignac.